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SAVOISY

 

 

Histoire d’un ancien château de Bourgogne

 

 

 

Depuis 1875, l’apparence extérieure de l’ancien château de Savoisy a peu changé : cette année-là, François Corot, officier d’artillerie, l’achète, presque en ruines, à la famille de sa femme, et le recouvre de ses toits d’ardoises actuelles.

 

Bourguignon d’origine, ce petit-neveu du peintre Camille Corot était l’époux d’une Savoisienne dont le trisaïeul, Edme Varet, avait acquis en 1791 le château dont il était le fermier, « l’amodiateur » ; ses descendants avaient peu à peu délaissé l’héritage.

 

Avec Jeanne Corot, sa descendante à la sixième génération, infirmière du maquis de Savoisy, professeur de catéchisme, dévouée au village et à la région, s’est éteinte en 1989 une lignée présente au château de Savoisy pendant près de deux siècles.

 

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Henri Corot, fils de François et père de Jeanne, archéologue connu en particulier pour ses découvertes aux sources de la Seine, a trouvé sur le territoire de Savoisy de nombreux objets préhistoriques : pierres polies, fragments de silex, hachettes, couteaux, attestant que des hommes vivaient là il y a plus de 50 000 ans.

 

L’étymologie du mot « Savoisy », qui pourrait provenir du nom d’homme Salvitius, la découverte aux alentours de plusieurs sites gallo-romains, la présence sur les murs d’enceinte, aujourd’hui encore, de tuiles rondes, rares dans notre région, et le plan carré du château, permettent d’imaginer qu’une villa gallo-romaine s’élevait ici autrefois.

 

D’après certains auteurs, Savoisy aurait fait partie du patrimoine apporté à l’abbaye de Flavigny lors de sa fondation, en 723.

 

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Perdu dans la forêt défrichée par les moines de Fontenay, Savoisy semble en effet avoir été ignoré jusqu’à l’apparition, dans une charte en latin des années 1150, d’un moine de cette abbaye, Bernardus de Salvese, premier membre connu de la famille de Savoisy. Il faudra quelques années de plus pour qu’André de Savoisy et ses descendants, « les puissants seigneur de Savoisy », ardents participants des croisades de 1189 et 1247, affirment l’existence de Savoisy comme seigneurie laïque.

 

Ils construisirent une tour forte de 4 étages, dont il ne reste aujourd’hui que la base et les 2 premiers étages, noyés dans le massif de la poterne : une cave profonde aux mille bouteilles de verre soufflé, surmontée d’un fruitier voûté, et d’une chambres aux tomettes historiées d’où part un escalier menant au « grenier des résistants » ; dans un des murs de la cave, épais de plus de deux mètres, subsiste une meurtrière, très différente par sa forme de celles qu’on peut voir dans les courtines, qui seront construites plus tard.

 

C’est de cette première construction que date la légende du souterrain secret, chère au cœur de nombreux Savoisiens, dont on dit qu’il reliait le château à l’abbaye du Puy d’Orbes, aujourd’hui en ruines dans les bois de Verdonnet, à 5 km de Savoisy (ou à l’abbaye de Fontenay ?).

 

 

Vers 1250, Mabille de Savoisy, fille unique d’André II, épousa Hughes de Mont-Saint-Jean, cadet de l’illustre maison bourguignonne, qui avait reçu en héritage la terre de Charny. Ses descendants, porteurs du nom de Charny, héritèrent de la seigneurie de Savoisy ; ils partagèrent les honneurs de leur époque – comme on le verra par la suite – avec leurs cousins qui eux, avaient gardé le nom de Savoisy.

 

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Parmi les petits-fils de Mabille de Savoisy, on voit émerger Geoffroy 1er de Charny, seigneur de Savoisy, « un des plus braves chevaliers de son époque », dont le grand-père maternel était Jean de Joinville, sénéchal de Champagne et biographe de Saint Louis.

 

Geoffroy 1er de Charny portait la bannière de France à la bataille de Poitiers, le 19 septembre 1356, et « ne la quitta ce jour-là qu’avec la vie », faisant rempart de son corps pour sauver le roi Jean le Bon. Le 4° fils du roi, Philippe, (« Père gardez-vous à droite, père gardez-vous à gauche »), gagna ce jour-là un surnom qu’il lui resta attaché quand, un peu plus tard, il devint le duc de Bourgogne Philippe « le Hardi ».

 

C’est entre les mains de la veuve de Geoffroy de Charny, Jeanne de Vergy, que le Saint Suaire, venu de Terre Sainte, réapparaît alors en France. Après avoir séjourné plusieurs années près de Montbard, au château de Montfort qui appartenait aussi à Jeanne de Vergy, il a sans doute - peut-être ? - fait étape pour une nuit à Savoisy, lors d’un trajet vers Lirey, en Champagne, ou vers la Franche-Comté.

 

Parmi les nombreux cousins de Geoffroy de Charny, deux frères se sont distingués :

 

- Eudes de Savoisy, père de Gaucher et de Henri, archevêque de Sens, fameux partisan du duc de Bourgogne, mais pourtant membre du grand-conseil du roi, qui célébra en juin 1420 le mariage de Catherine de France avec le roi anglais Henri V, prétendant à la couronne de France.

 

- et Philippe de Savoisy ; fait prisonnier des anglais à la bataille de Poitiers, il avait accompagné le roi Jean le Bon et son fils Philippe dans leur captivité en Angleterre ; cette promiscuité dans le malheur avec la maison royale de France et avec celle des futurs ducs de Bourgogne valut plus tard à la famille de Savoisy son immense fortune : trésorier de France, souverain maître d’hôtel en 1388 de la toute jeune reine Isabeau de Bavière, Philippe de Savoisy fut le père de Pierre de Savoisy, évêque du Mans puis de Beauvais, Pair de France, et de Charles de Savoisy.

 

Ce dernier, chambellan et commensal du roi Charles VI, auprès duquel il fut élevé, puis grand Echanson de France, héros de sa famille, habitait aussi à Paris le magnifique hôtel de Savoisy, rue du Petit-Marivaux (aujourd’hui rue Pavée, dans le Marais) : il allait à pied chez le roi, à l’hôtel de Saint Pol. A la suite d’une bousculade avec un cortège d’étudiants de la puissante Université, il fut pourtant condamné à la démolition de son hôtel.

 

Marguerite de Charny, petite fille de Geoffroy 1er, fut l’héritière du Saint-Suaire. Veuve de Jean de Bauffremont (+ à Azincourt en 1415), elle avait épousé en 2° noces Humbert de Villersexel, comte de la Roche et seigneur de Saint-Hippolyte-sur-le-Doubs, où le Linceul de Turin séjourna plusieurs années.

 

Un des compagnons d’armes de son 2° mari, François de La Palu, devint son neveu par alliance. Il portait un nez en argent, pour cacher une blessure effroyable reçue au cours de la bataille d’Anthon. Se voyant sans enfants, Marguerite de Charny lui « abandonna » Savoisy en 1435. Plus tard, elle céda au duc Louis de Savoie le Saint Suaire, qui fut ensuite transporté à Turin où il se trouve aujourd’hui : il est aussi connu sous le nom de Linceul de Turin.

 

Vers 1440, François de la Palu vendit la seigneurie de Savoisy à Pierre de Beauffremont, chevalier de la Toison d’Or, comte de Charny, gouverneur et maréchal de Bourgogne, fils d’Henri de Beauffremont et d’une 2° Jeanne de Vergy (les éclats dispersés de son tombeau, en pierre noire de Tournai, se trouvent en plusieurs lieux de Côte d’Or, et à la « Walters Art Gallery » de Baltimore, aux Etats-Unis).

 

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En 1442, Pierre de Beauffremont vend à son tour Savoisy au chancelier du duc de Bourgogne (à cette époque Philippe Le Bon), Nicolas Rolin, qui rebâtit « magnifiquement » le château, doté alors des cinq hautes tours et du donjon central, visibles sur la gravure de Joachim Duviert.

 

Il en reste aujourd’hui de nombreux vestiges : la salle des gardes, surplombée par « les Guettes », avec leurs cheminées monumentales et les bancs à coussiège, d’où l’on pouvait surveiller le passage sous la voûte du pont-levis ; les courtines surmontées par un chemin de ronde, dans l’épaisseur desquelles 15 meurtrières défendaient les anciens fossés – dont subsiste la mare du village. ; et au-dessus de la plupart des portes et fenêtres, les linteaux en accolades caractéristiques de la fin du Moyen-Age : du début de la Renaissance.

 

Propriétaire de plus de 40 fiefs – dont le Châtelot de Châtillon, futur château Marmont – Nicolas Rolin rebâtit la même année l’église de Savoisy, devenue depuis monument historique. L’année suivante, il lança la construction des hospices de Beaune.

 

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En 1555, son arrière-petite-fille Anne Rolin, ayant épousé un flamand qui était donc sujet espagnol, doit céder Savoisy au connétable Anne de Montmorency, duc et Pair de France, grand argentier de François Ier ; premier propriétaire foncier de France, il était le héros de sa famille et le fervent chef de file des catholiques. Dès 1557, il affranchit les Savoisiens, qui étaient encore serfs.

 

Les guerres de religion se préparaient : Savoisy fut clos de murs, comme le village voisin de Nesles, qui était au prince de Condé, chef de file des protestants. Les remparts du village et les « canonnières à fente de visée », dont il reste des traces dans les courtines, n’empêchèrent pas le château de Savoisy d’être pris en 1591 par les navarristes, puis assiégé et repris par les partisans de la Ligue. Pendant ce siège, le château fut ravagé par un incendie, dans lequel la charte d’affranchissement du village fut brûlée.

 

Le château échut en 1620 à une des arrière-petites-filles du connétable, Marie-Liesse de Montmorency-Luxembourg. Fille de Henri de Luxembourg, duc et Pair de France, et épouse de Henri de Lévis, duc de Ventadour et Pair de France, elle fonda avec son mari l’étonnante Compagnie du Saint-Sacrement.

 

En 1640, sans enfants, elle vend Savoisy, conjointement avec sa sœur Marguerite et son beau-frère Charles-Henri de Clermont, à Michel Particelli d’Hémery, surintendant des Finances de Louis XIII (2 ans plus tard, il achètera aussi le château de Tanlay). Sa créativité en matière fiscale et la pression qu’elle engendra contribuèrent au déclenchement de la Fronde.

 

Malgré l’existence d’un fils, sa veuve aliéna le château en deux temps, en 1656 et 1662, à César de Choiseul, duc de Choiseul, comte du Plessis-Praslin, surintendant des Finances de Louis XIV, Maréchal et Pair de France. Entre autres talents, il offrait galamment aux dames de la cour d’exquises amandes, grillées et caramélisées, création d’un des ses officiers de bouche, que très malicieusement elles appelèrent des praslines.

 

Après qu’il ait vu tomber à ses côtés ses deux fils aînés, lors de deux batailles dont il fut vainqueur, après la mort de son 3° fils et de son petit-fils aîné, également tués au combat, ses titres échurent à son 4° fils, César-Auguste de Choiseul.

 

Doté de plusieurs filles, mais sans postérité masculine, celui-ci vendit Savoisy en 1690 à Albert Frérot, maître drapier et capitaine des chasses du prince de Conti, notable de Châtillon issu d’une famille bien introduite à la cour de Versailles.

 

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En 1729, à la mort du dernier des 4 enfants d’Albert Frérot, le château et les terres passèrent en héritage à ses 2 petits-enfants, Edme Viesse, trésorier de France en Bourgogne, et à sa sœur Claude Viesse, épouse de Nicolas Vaillant qui ajouta alors « de Savoisy » à son nom. Les héritiers étaient cousins des ancêtres du futur maréchal d’Empire Viesse de Marmont.

 

Après la mort de Nicolas Vaillant, puis celle d’Edme Viesse, en 1758, on retrouve Savoisy entre les mains de Jean-Baptiste Vaillant de Savoisy, « homme de distinction », lieutenant des Maréchaux de France, capitaine de la célèbre Compagnie de l’Arquebuse, et du baron de Fresne, époux de la fille d'Edme Viesse.

 

Ce sont les aristocratiques descendants des familles Vaillant de Savoisy et de Fresne qui vendirent ensemble, en 1791, le château et les terres de Savoisy à Edme Varet, l’aïeul de Jeanne Corot.

 

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Trois ans plus tard, sur l’ordre du district de Montbard, ce dernier dût faire abattre les cinq tours du ci-devant château, dont les débris comblèrent les fossés. Deux d’entre elles atteignaient une hauteur de quatre étages ; une seule des cinq girouettes fut conservée. C’est sans doute à cette époque que le bâtiment central, visible sur la gravure de 1609, qui parait avoir abrité une chapelle, a aussi été abattu.

 

 

Pourtant, Savoisy inspira encore Alexandre Dumas, qui donna un rôle de premier plan à Charles de Savoisy dans « Charles VII chez ses grands vassaux » (1831)° et celui de l’incorruptible justicier au « Seigneur comte de Savoisy » dans « La Tour de Nesles » (1832) ; Balzac fit aussi de Charles de Savoisy le héros de « La connétable », un de ses « Cent contes drolatiques » (1834).

 

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Depuis 1995, les propriétaires actuels ont entrepris la remise en état intérieure des bâtiments, du jardin et des vergers. Deux des six girouettes placées en 1875 sur les toits d’ardoise par François Corot ont été restaurées – à l’identique.

 

 

 

 

 

 

 

Il n’y a pas de vieilles familles,

elles sont toutes égales devant l’éternité

Il n’y a que des familles qui ont eu la chance

de pouvoir garder leurs souvenirs.

 

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